Alain FISCH
Institut des Etudes Epidémiologiques et Prophylactiques (IDEEP) et Centre de Vaccination International Centre Hospitalier, 94195 Villeneuve St-Georges cedex. [email protected]
Mots-clefs. Vaccination, vaccins, sujets âgés, seniors, tétanos, diphtérie, pneumococcie, grippe, hépatite, voyages.
En France la couverture vaccinale des enfants est globalement excellente. Celle des adultes est insuffisante, celle des sujets âgés nettement déficiente. Il semble s?agir d?une spécificité culturelle, datant de plus 100 ans, et qui n?existe pas en Scandinavie, dans une grande partie du monde anglo-saxon. Seule la vaccination grippale, qui n?est pas en France une vaccination de l?enfant, connaît un succès chez les seniors. Il conviendrait enfin d?expliquer que ce déficit vaccinal global du sujet âgé français constitue un immense problème de santé publique et qui génère un coût considérable.
La prévention chez le sujet âgé fut un domaine longtemps négligé dans la santé publique française. La vaccination, pilier majeur et simple de cette prévention, le fut encore plus ; elle l?est même encore tout simplement chez l?adulte en général, et bon nombre de Français considèrent encore que les vaccins sont pour les enfants, qui deviendront plus tard « adultes et vaccinés » !
La vaccination du sujet âgé tient pourtant une place préventive majeure, que le sujet soit en collectivité (promiscuité, épidémies...), en famille (au contact de ses enfants et petits enfants) ou parfaitement ambulatoire (voyages internationaux par exemple).
L?incidence, la gravité et la mortalité par infection augmentent avec le grand âge par rapport à l?adulte d?âge moyen. Chez des sujets en institution (3) on constate 10 à 15% de diabète, 10 à 15% d?insuffisance cardiaque, 10 à 15% d?insuffisance respiratoire, et un état nutritionnel altéré dans 20 à 60% des cas. L?immunité humorale, mais surtout cellulaire est altérée : interleukines, lymphocytes T cytotoxiques et hypersensibilité cutanée retardée.
Cette relative insuffisance immunitaire a un retentissement certain sur la réponse vaccinale. Mais il faut noter que :
Il n?existe aucun moyen médicamenteux permettant de restaurer une immunogénicité normale chez le sujet âgé. On sait depuis longtemps que la restauration nutritionnelle quantitative et surtout qualitative (vitamine A en particulier) améliore la réponse vaccinale. On sait depuis peu (12) que l?exercice physique est le meilleur facteur connu de l?amélioration de cette réponse chez le sujet âgé, tout au moins pour l?instant pour le vaccin grippal.
Il existe en France un déficit général de couverture vaccinale de l?adulte . Une étude menée dans des services d?urgence (15) montrait qu?un sujet de plus de 50 ans sur deux ne possédait aucun anticorps ; après 85 ans, deux sur trois. Il était impossible de différencier les anticorps vaccinaux de ceux éventuellement liés à une diphtérie passée. De toutes façons on ne pourra plus compter dans l?avenir sur cette immunité naturelle.
Certes la diphtérie autochtone a disparu de France. Mais il faut savoir que :
Autrefois, les médecins craignaient qu?un rappel diphtérie chez un sujet âgé entraîne une réaction locale. Depuis 10 ans cette crainte ne doit plus exister puisque le rappel, combiné dTP, comporte un taux d?anatoxine réduit, suffisant pour réimmuniser pendant 10 ans, et insuffisant pour entraîner une réaction locale importante.
Bien qu?il existe une sous-déclaration notoire, on peut admettre qu?il y a moins de 50 cas par an en France. La couverture vaccinale du sujet âgé est très déficiente, perdant environ 10% par décennie d?âge ; 30% des sujets de plus de 60 ans n?ont aucun anticorps (8). Sur deux années étudiées (1) la létalité oscille entre 23,5 et 30,0%. 84% des cas de tétanos surviennent chez des sujets de plus de 69 ans ; parmi eux 81% sont des femmes. Ceci signifie que, avec la suppression du service national, l?incidence du tétanos chez les hommes âgés pourrait à terme quintupler si rien n?est fait pour améliorer la vaccination volontaire.
La vaccination antitétanique est simple et quasi totalement dénuée des contre-indications et d?effets secondaires. Mais elle ne doit plus être faite isolée, avec la seule valence tétanique, à qui que ce soit. En effet, un sujet âgé qui a reçu régulièrement des vaccins antitétaniques seuls posera un problème pour sa (re)vaccination diphtérique : ce dernier vaccin étant obligatoirement associé à une valence tétanique : un tel sujet deviendrait surimmunisé, ce qui pourrait poser des problèmes d?effets secondaires. Le rappel antitétanique de l?adulte doit désormais être assuré avec le vaccin combiné dTP (Revaxis®) ou mieux dTPCa (Repevax®), tous les 10 ans.
Le risque qu?un Français sédentaire contracte actuellement cette maladie est nul. Ceci, bien que 90% seulement des sujets âgés de plus de 70 ans n?aient pas leur vaccination à jour (11). Mais il ne faut pas oublier que :
La vaccination contre l?hépatite B est édictée comme universelle par l?OMS et la Ministère de la santé français. La couverture vaccinale des sujets français âgés de plus de 55 ans est de 5,6% (2). Faut-il en déduire que ce taux très bas constitue une menace en terme de santé publique ? La réponse est non. D?ailleurs l?OMS ne recommande pas de programme de rattrapage chez les sujets âgés. Nous ne sommes donc pas devant un enjeu de santé publique mais devons resituer notre réflexion en terme de santé individuelle : pas de vaccination collective, mais vaccination ciblée des sujets âgés à risque :
Les quelques études ponctuelles, et surtout les chiffres de vente des vaccins grippaux, montrent que la couverture vaccinale du sujet âgé français est relativement bonne ; elle est néanmoins stagnante au cours des dernières années. La France a pris très tôt le parti de la vaccination des sujets à haut risque de mortalité. Mais un débat est ouvert depuis que le Japon ?qui compte un grand nombre de sujets âgés- a publié des taux de mortalité très faibles en vaccinant non pas les sujets à risque mais les sujets les plus socialement actifs qui constituent le moyeu, le « hub », des épidémies. Sans changer radicalement de politique, on pourrait au moins insister sur la vaccination des personnels de santé (20% de couverture vaccinale dans les hôpitaux français), et tout particulièrement chez les personnels des établissements pour personnes âgées.
Le vaccin pneumococcique 23-valent est sous-utilisé en France. Outre la pusillanimité des autorités de santé, l?inertie de l?Assurance maladie, les médecins français, désormais habitués à des vaccins d?efficacité quasi absolue, semblent « snober » les vaccins d?efficacité modérée. S?ils raisonnaient en terme de santé publique, ils s?apercevraient que le bénéfice de cette vaccination est considérable.
Environ 130.000 pneumonies à pneumocoque surviennent chaque année en France, représentant 30 à 50% des pneumonies hospitalisées dont la létalité varie de 10 à 30%, provoquant 10.000 décès par an, le pneumocoque étant la première cause de décès par maladie infectieuse.
« Les recommandations françaises actuelles sont trop restrictives et ignorent les personnes âgées, ce qui résulte en un nombre de vaccinations pneumococciques bien plus faible en France que dans des pays comparables » : texte de l?Académie nationale de médecine (7).
Les sujets âgés voyagent de plus en plus et de plus en plus loin ; 17% des voyageurs tropicaux français de plus de 18 ans ont plus de 65 ans. On pourrait penser que, bénéficiant du temps qui manque aux sujets actifs, ayant quasiment tous un médecin traitant, ils ont toute latitude pour médicaliser leur voyage et obtenir la meilleure couverture vaccinale. Il n?en est rien, bien au contraire : leur couverture vaccinale globale est inférieure de plus de 30% à celle des adultes non seniors (9).
Quelle que soit la tranche d?âge, cette maladie a une létalité de 50-60%. C?est la seule vaccination pour laquelle un contrôle aux frontières peut être effectuée. Son efficacité est quasi absolue pour une durée de 10 ans.
Le problème n?est pas d?actualité chez les seniors, mais le deviendra bientôt. On admet que quasiment tous les sujets nés avant 1945 ont contracté dans l?enfance une hépatite A, les immunisant définitivement. Dans quelques années, avant le voyage tropical d?un senior, il conviendra de procéder à un titrage des anticorps anti-VHA totaux.
Maladie rare mais très grave chez un sujet âgé ayant des atteintes systémiques préalables. Et maladie qui devient de plus en plus résistante aux traitements classiques, y compris par fluoroquinolones.
La probabilité de contracter le choléra est très rare pour un voyageur ; mais un choléra chez un sujet âgé est dramatique. La première prévention repose sur l?hygiène alimentaire ; la seconde, à partir de septembre 2004, sur le vaccin oral (Dukoral®) qui protège semble-t-il également partiellement de la « tourista » liée à Escherichia coli entéro-toxinogène (ETEC).
Beaucoup de médecins pensent que les seniors voyageurs tropicaux sont à l?abri de l?hépatite B, étant peu portés à une activité sexuelle débridée, voyageant souvent en couple etc. Des auteurs suisses (14) ont suivi 9.000 voyageurs européens en pays de forte endémicité et ont rapporté les risques non sexuels : 7% d?entre eux ont été malades ou accidentés et ont reçu des soins sur place, y compris transfusions et injections de divers médicaments. Ces risques sont partagés par tous, et menacent peut-être encore plus les sujets âgés sans doute plus fréquemment malades sur place.
Un sujet âgé est théoriquement moins aventureux qu?un jeune routard. Son risque de se faire mordre par un animal sauvage serait donc moindre. Le senior devrait se plier à la recommandation de l?OMS : « tout sujet éloigné de plus de 48 heures d?un centre habilité à lui procurer un traitement curatif de qualité devrait être vacciné préventivement ».
On vit depuis des décennies sur le fait qu?il n?est aucun besoin de vacciner les sujets adultes de plus de 40 ? 50 ans ? Cette notion ne repose sur aucune étude scientifique ; d?ailleurs, en cas de contact familial ou professionnel avec un cas, il est fait obligation de procéder à une prévention post-exposition quel que soit l?âge. Il paraît raisonnable de proposer cette vaccination (A+C ou mieux ACYW135) aux sujets âgés qui seront immergés dans la population d?une zone épidémique comme la « ceinture méningitique » africaine. Pour les pèlerins de La Mecque, qui sont le plus souvent des sujets âgés, voire très âgés, vaccin ACYW135 (Menomune®), de toute façons rendu obligatoire par les autorités saoudiennes.
Cette vaccination est proposée aux voyageurs se rendant en Asie du Sud pendant plus d?un mois en zone rurale. Elle est donc « confidentielle » pour les sujets âgés. Mais dans des cas de plus en plus fréquents (retraités en mission humanitaire par exemple), elle ne doit pas être oubliée.
Dans la mesure où un sujet âgé (ou non) séjournerait en forêt en Europe centrale, il conviendrait de lui proposer le vaccin correspondant (Ticovac®).
Absence de suivi systématique de la couverture vaccinale, recommandations spécifiques insuffisantes, faible information du public, formation insuffisante des médecins, hétérogénéité des pratiques. C?est ainsi que l?on peut caractériser la vaccination du sujet âgé en France.
Ces problèmes peuvent-ils trouver une solution européenne ? L?harmonisation n?est pas envisageable aujourd?hui : il n?existe pas deux pays sur les 27 de l?UE qui aient seulement un calendrier vaccinal identique...
1. ANTONA D. Le tétanos en France en 1998 et 1999. BEH. 20 - 01 ; 17 : 79-80.
2. ANTONA D, BUSSIERE E, GUIGNON N, BADEYAN G, LEVY-BRUHL D. Vaccine coverage in France in 2000. Euro Surveill 2003 ; 8 : 139-44.
3. BENTLEY DW, BRADLEY S, HIGH K, SCHOENBAUM S, TALER G, YOSHIKAWA TT. Practice guideline for evaluation of fever and infection in long-term care facilities. J Am Geriatr Soc. 20 - 01 ; 49 : 210-22.
4. BEYTOUT J, DENIS F, ALLAERT FA. Description du statut vaccinal de la population française. Med Mal Infect 2002 ; 32 : 678-88.
5. CONSEIL SUPERIEUR D?HYGIENE PUBLIQUE DE FRANCE. Calendrier vaccinal 2006. BEH 2006 ; 29-30.
6. CONSEIL SUPERIEUR D?HYGIENE PUBLIQUE DE FRANCE. Santé des voyageurs et recommandations sanitaires 2006. BEH 2006 ; 23-24 : 154-74.
7. DUBOIS G. Communiqué sur la vaccination pneumococcique de l?adulte. Bull Acad Natle Med. 2002 ; 186 : 1661-2.
8. FISCH A. Couverture vaccinale antitétanique. Méd Mal Infect. 1995 ; 25 : 627-31.
9. FISCH A, PRAZUCK T, HUGON-COLY F, CLEREL M, HORNEZ T, LAFAIX C. Etude prospective de la couverture vaccinale de 5.355 voyageurs tropicaux au départ de Paris BEH. 1994 ; 22 : 98 - 99.
10. GROG. www.grog.org/documents/20 - 01_grog_couverture_vaccinale.rtf.
11. JESTIN C. Obligatoires ou recommandées, les vaccinations sont-elles bien pratiquées en France ? Solidarité Santé Etudes Statistiques. 1990 ; 3-4 : 19-33.
12. KOHUT ML, ARNTSON BA, LEE W, ROZEBOOM K, YOON KJ, McELHANEY J, Moderate exercise improves antibody response to influenza immunization in older adults. Vaccine 2004 ; 22 : 2298-306.
13. PLOTKIN S.A., MORTIMER E.A. Vaccines. WB Saunders Company, Philadelphia. 1994.
14. STEFFEN R. Morbidity and health : from hominid migration to mass tourism. European Conference on Travel Medicine. Venice, Italy. 25-27 March 1998.
15. VINCENT-BALLEREAU F, SCHRIVE I, FISCH A, LAURICHESSE H, ROMASKO C, BARON D, DUBLANCHET A, DETEIX P, REIX M. Immunité antidiphtérique de la population française adulte d?après une enquête sérologique multicentrique. BEH. 1995 ; 15 : 65-66.
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