Par le Docteur Jean COUDERT
Laboratoire de Physiologie - Biologie du Sport
Faculté de Médecine, 28, Place Henri Dunant - BP 38, 630 - 01 Clermont-Ferrand Cedex
Cet article est reproduit avec l’aimable autorisation du Dr. J.C. Deslandes et de la revue www.urgence-pratique.com
Il est bien établi que la pression barométrique décroit de manière exponentielle en fonction de l’altitude et induit la chute concomitante de la pression artérielle de l’oxygène dans l’air inspiré (PiO2). Ce facteur « hypoxie » est maintenant considéré comme un des facteurs clés, à l’origine de la pathologie d’altitude en général et des oedèmes en particulier.
Il s’agit là d’une pathologie observée, de plus en plus fréquemment, du fait du nombre croissant de personnes qui s’exposent, au cours de voyages touristiques, et dans le cadre d’activités physiques et sportives, à des altitudes de plus en plus élevées. La gravité de certains aspects de cette pathologie « oedemateuse » doit être parfaitement connue du praticien et du personnel impliqué dans les activités se déroulant à haute altitude, car elle suppose la mise en route d’un traitement d’urgence en général rapidement salvateur.
Il se caractérise par ses conditions d’apparition et sa symptomatologie.
Cette pathologie va se manifester essentiellement pour des altitudes égales ou supérieures à 3000 m. La pathologie d’altitude est exceptionnelle, rarement observée entre 1000 et 2000 m et seulement, chez des sujets particulièrement sensibles, soumis à des activités physiques et sportives intenses et prolongées.
Les sujets atteints sont en général des sujets jeunes, indemnes de tares. Les sujets porteurs d’une anomalie (en particulier cardiaque et/ou pulmonaire) sortent du cadre de la pathologie d’altitude. Les symptômes réapparaissent en général, chez un même sujet, pour la même altitude. Cette susceptibilité individuelle est un des faits les plus marquants de la pathologie d’altitude.
La phase de plus grande vulnérabilité se situe durant les quatre premiers jours suivant l’arrivée en altitude. Il est exceptionnel d’observer les troubles après le dixième jour, période à partir de laquelle le sujet bénéficie d’un bon acclimatement.
La rapidité de l’ascension : Ce facteur a été bien mis en évidence par les résultats de l’enquête réalisée par Hackett et al. [7]
L’activité physique et sportive : Durant les premiers jours qui suivent l’arrivée à haute altitude, elle favorise considérablement le développement des troubles liés à la pathologie d’altitude. L’exercice musculaire trop intense est à éviter au début ; il doit être progressif et sera favorisé par un bon entraînement préalable.
Le froid : Associé fréquemment au vent, il constitue une agression supplémentaire qui majore considérablement les effets de l’altitude.
Autres facteurs favorisants : Il est classique de citer l’anxiété constitutionnelle de certains sujets qui, de ce fait, seront plus facilement enclins à présenter une pathologie d’altitude.
Le sommeil est aussi une situation durant laquelle les troubles se manifestent avec la plus grande fréquence : la dépression des centres respiratoires qui aggravent l’état d’hypoxie est en grande partie responsable de ces faits.
On connaît peu de choses sur l’incidence d’autres facteurs ambiants, tels que la sécheresse de l’air, l’intensité des radiations, en particulier cosmiques et surtout la richesse en ozone de l’air ambiant.
« Acute mountain sickness » des Anglo-Saxons ou « Soroche » des pays Andins, le MAM regroupe un ensemble de symptômes variés, dominés par des signes cérébraux, digestifs et thoraciques.
Le cerveau est l’organe le plus sensible à l’hypoxie et c’est le premier à présenter des signes de souffrance à haute altitude : les céphalées constituent le trouble le plus fréquemment observé [7]
L’insomnie est également le témoin d’un dysfonctionnement cérébral
Dans ce cadre, il faut isoler les troubles dus directement à l’hypobarie : la décompression induit une dilatation douloureuse des gaz piégés dans les cavités aériennes (sinus, kystes dentaires, oreille moyenne) et au niveau des viscères creux. Les signes digestifs, entrant plus spécifiquement dans le cadre du MAM sont représentés par : l’anorexie, les nausées et les vomissements.
La dyspnée d’effort attire rapidement l’attention de celui qui veut gravir trop rapidement un escalier ou un terrain en pente, dès l’arrivée à haute altitude. La dyspnée de repos se manifeste surtout la nuit, durant le sommeil, associée à une respiration périodique, réveillant le sujet au décours des apnées trop prolongées. La tachycardie et surtout les palpitations sous forme de salves d’extrasystoles pourront dans certains cas incommoder et inquiéter les sujets non acclimatés.
Tous ces signes, plus ou moins regroupés, vont en général évoluer favorablement, d’une manière spontanée. Dans certains cas, un traitement symptomatique peut être prescrit : acide acétylsalicylique, contre les céphalées, somnifères contre les insomnies. Ces derniers doivent être prescrits avec prudence, à doses modérées ; ils sont en effet capables d’aggraver la dépression des centres respiratoires habituellement observés à haute altitude durant le sommeil et de favoriser les respirations périodiques et les apnées du sommeil. L’oxygénothérapie modérée est souvent le meilleur traitement des céphalées nocturnes et des insomnies. Si les troubles persistent ou s’accentuent, le repos est de rigueur et il faut conseiller la descente à un niveau inférieur. L’évolution défavorable doit faire redouter l’apparition du drame respiratoire que constitue l’OAPA et du drame neurologique que constitue l’oedème cérébral.
Malgré les nombreux travaux publiés sur ce thème durant la dernière décennie, les mécanismes physiopathologiques de l’OAPHA restent obscurs et complexes (Figure 3).
L’Hypertension Artérielle Pulmonaire (HTAP) est reconnue comme étant un des facteurs initiaux responsable de l’oedème. La vasoconstriction artériolaire pulmonaire (VCap) hypoxique associée à l’hyperréactivité de la musculature lisse est le facteur dominant. La responsabilité d’un ou plusieurs médiateurs chimiques induisant la Vcap (histamine, sérotonine, noradrénaline, angiotensine, prostaglandine type F2α, PAF - acether) n’a jamais pû être mise clairement en évidence. Certains auteurs ont insisté sur les facteurs favorisant l’HTAP : diminution des réponses ventilatoires à l’hypoxie qui aggraverait l’hypoxie alvéolaire [8], augmentation de l’activité sympathique musculaire précédant l’HTAP hypoxique [13] et faisant évoquer une ressemblance avec l’oedème pulmonaire neurogène [17].
Devant ce tableau d’HTAP isolée avec pression capillaire (Pc) et auriculaire gauche (PoG) normales, la difficulté de l’interprétation du mécanisme de l’oedème intra-alvéolaire (OIA) contribue à maintenir l’OPA dans le domaine des pathologies « mystérieuses et exotiques » [4].L’absence de défaillance ventriculaire gauche aiguë situe l’affection dans le cadre des OP non cardiogéniques. L’OIA serait mixte : par hyperpression et hyperperméabilité [24]. L’hyperpression serait due à la « surperfusion », conséquence de la non-homogénéité des résistances précapillaires pulmonaires secondaires à la Vcap hypoxique et aux microthromboses artériolaires. Ce concept fonctionnel de non-homogénéité des réponses vasoconstrictives serait responsable en particulier de l’aspect focalisé de l’oedème : les capillaires pulmonaires, « surperfusés », seraient le siège de haut débit et de haute pression inaccessibles à la technique de mesure par Pc bloquée [12]. L’hyperperméabilité apparaîtrait secondairement par lésion mécanique des cellules endothéliales, sous l’effet de la grande vitesse linéaire du sang dans la zone « surperfusée ». Les mesures réalisées sur les liquides de lavages broncho alvéolaires chez des sujets présentant un OAPHA mettent en évidence des signes évoquant des réponses inflammatoires associées, avec entre autres, augmentation du nombre de globules blancs, de la concentration en protéines, thromboxane B2 et leucotriène B4 [22]. Des études récentes écartent l’hypothèse de l’inflammation, en tant que facteur étiologique de l’OAPHA [26]. Des polypeptides vasoactifs, tels que la bradykinine [20] dont la destruction au niveau pulmonaire est diminuée au cours de l’hypoxie aiguë, pourraient expliquer en partie l’hyperperméabilité endothéliale et l’association fréquente de l’OPA à d’autres oedèmes : oedème cérébral d’altitude (OCA) et oedèmes cutanés. D’autres mécanismes ont été invoqués : libération excessive de radicaux libres, toxiques pour les cellules, au niveau alvéolo-capillaire, veino-construction pulmonaire [30].
La conjonction de ces différents mécanismes (surperfusion régionale, veino-constriction pulmonaire, et éventuellement microthromboses vasculaires pulmonaires) observées au cours d’OPHA [1] est à la base du concept de « capillary stress failure » évoqué par WEST et al. [29]. L’hypothèse d’une diminution de la réabsorption des liquides au niveau alvéolaire, en relation avec une anomalie du transport transépithélial du sodium a été plus récemment évoquée [19].
La prévalence est surtout fonction de l’altitude atteinte, de la vitesse avec laquelle elle est atteinte et de la susceptibilité individuelle des sujets [10, 2].
L’OAPHA survient toujours après un délai : au minimum 6 heures après l’arrivée à haute altitude. Les signes respiratoires dominent rapidement le tableau clinique. La cyanose est toujours présente et importante au niveau de la face et des extrémités. Le pouls est rapide. L’auscultation, au début, révèle des foyers de râles, ayant souvent une topographie asymétrique ou même unilatérale, évoquant une pneumonie ou une broncho-pneumopathie aiguë. Secondairement, les râles s’étendent et atteignent les sommets ; les bases sont en général épargnées. En dehors de la tachycardie et d’un éclat fréquent du deuxième bruit au foyer pulmonaire, l’auscultation cardiaque est normale. La pression artérielle systémique est normale ou légèrement abaissée. On ne note pas de turgescence des jugulaires.
La prévention repose sur : l’ascension progressive à HA, l’activité physique modérée, l’usage de vêtements chauds et l’administration préalable de comprimés d’Acetazolamide (Diamox) à la dose de 500 mg par jour, 2 jours avant l’arrivée en altitude et durant les 2 jours suivants. Ce produit s’est montré particulièrement efficace à titre préventif grâce à son action diurétique, stimulante ventilatoire et bénéfique au niveau des fonctions rénales et cérébrales [14,25]. La Dexamethasone, à la dose de 4 mg, deux fois par jour, s’est montrée également efficace à titre préventif. Plus récemment, a été proposé, avec succès, un inhibiteur calcique, la Nifédipine (à la dose de 20 mg, toutes les 8 heures) [3]. Actuellement une épreuve d’hypoxie au repos et au cours d’exercice musculaire permet de dépister les sujets à risques : réalisée dans le cadre de laboratoires spécialisés elle consiste à étudier les réponses respiratoires et circulatoires avant et après exposition à un mélange hypoxique (altitude simulée : 4800 m). La recherche d’une diminution des réponses ventilatoires à l’hypoxie et d’anomalies de réponses circulatoires au cours des tests au froid (cold pressure test) [27] ou tests de la table basculante (tilt table test) [18] a été proposée pour dépister de tels sujets.
Il repose sur les éléments suivants : repos, oxygénothérapie et, éventuellement diurétiques avec en plus, en haute montagne, redescente à un niveau plus bas et réchauffement. Dans les formes débutantes le repos au lit peut à lui seul être suffisant. Dans les formes sévères, la ventilation assistée avec « pression positive en fin d’expiration » (PEEP) peut être nécessaire [15]. Les formes associées à l’oedème cérébral imposent impérativement la descente à des altitudes inférieures. En l’absence d’oxygène disponible, et lorsque la redescente n’est pas immédiatement possible, d’autres moyens ont été proposés et expérimentés avec succès : utilisation de caissons hyperbares portables [9], administration de drogues vasodilatatrices, telle que Nifédipine [3]. L’inhalation d’oxyde nitrique (No) a également été utilisée, avec succès [21].
C’est de loin l’accident le plus grave qui impose impérativement la redescente dans les plus brefs délais.
Elle est actuellement encore très mal comprise et fait appel à plusieurs types de mécanismes : Le mécanisme vasogénique a été le premier a être proposé [16]. La vasodilatation des artérioles cérébrales, induites par l’hypoxie serait à l’origine d’une élévation du débit cérébral, associé à celle de la pression capillaire. Mais, d’autres auteurs mettent en doute ce seul mécanisme pour aboutir à un oedème cérébral et évoquent le rôle éventuel d’un défaut de synthèse de l’ATP, à l’origine d’une anomalie de la pompe Na+/K+ au niveau membranaire avec gonflement des cellules [11]. Parmi les autres hypothèses, l’implication de médiateurs tels que la bradykinine a été proposée [28], ainsi que le rôle du gonflement des cellules par accumulation de liquides hyperosmotiques au niveau de certaines zones cérébrales particulièrement hypoxiques comprimant les capillaires voisins et aboutissant à des zones ischémiées : cette ischémie focale pouvant être le résultat de l’hypertension intracrânienne secondaire à l’hyperhémie d’une part, et à l’oedème cellulaire « osmotique » d’autre part serait un des aspects particulier de la physiopathologie de l’OCHA [24]. Une dernière hypothèse fait jouer un rôle essentiel aux facteurs de croissance vasculaires induits par l’hypoxie, et responsable d’un processus d’angiogénèse avec altération des parois capillaires et déclenchement d’une hyper perméabilité. L’efficacité, dans le domaine du traitement de l’OCHA des glucocorticoïdes, tels que la Dexamethasone, inhibiteurs de l’angiogénèse serait en faveur de ce mécanisme [23].
Un tableau de MAM où prédominent les signes cérébraux précède habituellement l’installation de l’oedème cérébral. Dans certains cas, l’oedème cérébral s’associe à un OAPA et risque d’être méconnu, masqué par les signes pulmonaires qui attirent davantage l’attention de l’entourage.
Ils réalisent un syndrome d’hypertension intracrânienne (HIC). Les céphalées s’associent parfois à des vomissements. Il est fréquent de noter des troubles de l’équilibre, évoquant un tableau d’ataxie d’origine cérébelleuse. L’association à des troubles visuels n’est pas rare : il s’agit de diplopie, de vision floue avec paralysie du nerf moteur oculaire externe.
A l’examen du fond d’oeil, on peut déceler un oedème papillaire de stase qui habituellement ne se manifeste que très tardivement. En revanche, il est banal d’observer à haute altitude une dilatation, une tortuosité anormale des vaisseaux rétiniens, ainsi que des hémorragies en flammèches.
Spontanément, la situation s’aggrave et aboutit progressivement au coma avec troubles neuro-végétatifs et décès.
Le traitement médical, le plus souvent peu efficace, est à entreprendre avant la phase de coma : il repose sur l’oxygénothérapie, la perfusion de solutés hyperosmotiques, de corticoïdes à fortes doses, et l’injection de diurétiques. Si ce traitement ne fait pas immédiatement la preuve de son efficacité, il faut descendre le sujet à basse altitude. La redescente a en général un effet spectaculaire. C’est surtout au stade de coma que les attitudes thérapeutiques sont les plus difficiles à prendre : lorsqu’elle est possible, l’intubation trachéale est souhaitable. Des thérapeutiques complémentaires ont été proposées : injection de corticoïdes à fortes doses (Dexamethasone, à la dose de 8 mg par voie intramusculaire, puis 4 mg toutes les 6 heures, par exemple), perfusion de Mannitol (solution à 20%), administration de diurétiques (Furosémide, Acétazolamide) ; les inhibiteurs calciques (Nifedipine) ont été également proposés.
Les mesures préventives sont identiques à celles qui ont été indiquées dans le cadre de la prévention du MAM et de l’OAPHA
Il n’est pas rare d’observer d’une manière isolée ou associée à l’OAPHA et/ou l’OCHA, des oedèmes localisés de la face, des mains ou des chevilles.Ces oedèmes localisés, de bon pronostic lorsqu’ils restent isolés, sont les témoins vraisemblables de la rétention hydrosodée d’une part et des anomalies de la perméabilité au niveau périphérique d’autre part.
L’oedème, sous toutes ces formes (pulmonaire, cérébral, cutanéo-muqueux en général et cellulaire en particulier) constitue un des dénominateurs communs de la pathologie d’altitude. L’existence d’une nette susceptibilité individuelle soulève la notion de facteurs génétiques, que la biologie cellulaire et moléculaire aura peut-être l’occasion de détecter prochainement. La mise en évidence relativement récente, de nombreux facteurs induits par l’hypoxie (cas de HIF1) et de leurs expressions variables suivant les sujets et l’environnement [6] peut apporter un éclairage nouveau sur cette physiopathologie (figure 4).
Il est par contre possible de réduire les incidences de cette pathologie en suivant tous les conseils de prévention déjà mentionnés. L’utilisation, à titre préventif, des médicaments (Acétazolamide en particulier) ne doit pas être systématique : elle pourrait être à l’origine de troubles hydroélectrolytiques et en particulier de déshydratation qui menace alpinistes et randonneurs d’altitude. Elle sera réservée aux sujets vulnérables, dont le dépistage reste actuellement un des problèmes difficiles à résoudre.
Parmi les pathologies liées à l’altitude, les oedèmes constituent une des plus fréquentes.Ils se manifestent durant les premiers jours d’exposition à des altitudes,le plus souvent, supérieures à 3000 m. Ils débutent, en général, par des signes précurseurs qui entrent dans le cadre du mal aigu des montagnes, associant céphalées, troubles digestifs, dyspnée et insomnie.
L’oedème aigu du poumon d’altitude fait partie des tableaux les plus fréquents. Bien que sa physiopathologie reste encore obscure, elle est dominée par une hypertension artérielle pulmonaire sévère. Le traitement (repos, redescente, oxygénothérapie et éventuellement diurétiques)est en général efficace.
L’oedème aigu cérébral d’altitude est plus rare et d’évolution parfois fatale, malgré tous les traitements proposés, lorsqu’on atteint le stade de coma.
Les oedèmes localisés périphériques (face, mains, chevilles) sont de meilleur pronostic, mais peuvent s’associer aux autres types d’oedème.
L’élément dominant commun à tous ces oedèmes est leur survenue chez des sujets particulièrement sensibles et un des problèmes majeurs actuels est le dépistage de ces sujets qui peuvent bénéficier d’un traitement préventif.