Cet article est reproduit avec l'aimable autorisation du Dr. J.C. Deslandes et de la revue urgences pratiques.
La mode des « Nouveaux Animaux de Compagnie » ou « NAC » est en plein développement. Si la grande majorité des espèces animales originales élevées par des particuliers représente peu de risque pour leur propriétaire (rongeurs exotiques, tortues et poissons tropicaux...), quelques passionnés constituent des collections de spécimens parfois dangereux (grands félins, ours, crocodiles...).
Parmi les NAC importés sur notre territoire, les espèces venimeuses sont très recherchées par les amateurs de sensations fortes. La présence de ces animaux toxiques est à l'origine d'accidents avec inoculation de venin responsable de tableaux cliniques mal connus en France métropolitaine. Chaque année, le nombre d'envenimations par animaux exotiques semble croître : les premières observations françaises datent du début des années 80 (1) avec, à l'époque, un ou deux cas par an. Depuis, l'équipe médicale du Centre Antipoison de Marseille (CAPM) est consultée régulièrement pour aider à la prise en charge de patients envenimés par leur animal de compagnie favori. Ainsi, en 1997, sept observations avaient été collectées par le CAPM (2), ce qui paraissait beaucoup. Les auteurs présentent les 12 observations d'envenimation par animaux exotiques colligées au cours de l'année 1999. Ces cas cliniques permettent de plus de souligner les problèmes médicaux que peut entraîner cette mode des « NAC » venimeux.
Comme nous pouvons le constater dans le tableau n° 1, les animaux venimeux maintenus au domicile de particuliers peuvent être de tout type : serpents, poissons, araignées ou invertébrés marins. Ces espèces des plus variées possèdent des venins très différents et sont donc responsables de tableaux cliniques souvent mal connus des praticiens français.
Les espèces de poissons exotiques venimeuses sont nombreuses et sont souvent recherchées des aquariophiles pour leur beauté. C'est notamment le cas des rascasses volantes du genre Pterois responsables de piqûres très douloureuses. Fort heureusement, les poissons tropicaux maintenus en aquarium semblent être moins toxiques que leur congénères sauvages, car l'on n'a jamais observé en Europe de signes généraux décrits dans les îles de l'Indo-Pacifique (problème de carences alimentaires en captivité '). De façon générale, l'activité du venin de poissons osseux est très largement réduite lorsque l'on réalise le plus rapidement possible un « choc thermique » local : il faut approcher du point de piqûre une source de chaleur durant 1 à 2 minutes (sèche-cheveux ou cigarette), et cela bien sûr sans jamais brûler la peau. L'application par la suite d'un glaçon dans un linge provoque une brutale variation de température dont l'action antalgique est immédiate. Toute persistance des signes ou tout symptôme d'infection doit motiver une prise en charge médicale pour prescription de traitements symptomatiques (3).
Les techniques d'aquariophilie permettent aujourd'hui non seulement d'élever des poissons exotiques, mais aussi de récréer de véritables petits récifs coralliens où les invertébrés se multiplient. Ce type d'aquarium, dit « récifal », implique la présence de nombreuses espèces urticantes (coraux, anémones, hydraires, oursins, étoiles de mer) responsables de lésions cutanées parfois sévères (3). En cas de contact avec la peau, la zone lésée doit être abondamment rincée à l'eau de mer de l'aquarium (l'eau douce favorise la libération du venin de ces animaux marins), puis au vinaigre ou à l'alcool à 70°. La présence de phlyctènes doit toujours mener le patient à consulter un médecin qui traitera la lésion comme une brûlure thermique.
Depuis peu, les araignées sont devenues des animaux de compagnie très prisés, et tout particulièrement les mygales recherchées pour leur grande taille. Ces arthropodes peuvent être responsables de morsures douloureuses se compliquant fréquemment d''dème loco-régional et de fièvre isolée (4). Le venin de la plupart des mygales d'Amérique du sud (les plus importées en Europe) ne pose pas plus de problème. Ce n'est pas le cas de plusieurs espèces d'Asie et d'Australie dont le venin est neurotoxique. Il faut insister sur le fait que l'on connaît encore peu de chose sur le venin de mygales, ce qui signifie que toute nouvelle espèce importée peut nous réserver quelques surprises...
En plus de leur venin, de nombreuses espèces de mygales possèdent des poils urticants qu'elles projettent à la face des humains. Ces poils sont responsables de lésions oculaires pouvant aller jusqu'à la kératite (tableau n°1), et nécessitant plusieurs mois de traitement spécialisé (4). L'élevage d'araignées à poils urticants doit être déconseillé aux amateurs.
Les serpents sont les animaux exotiques les plus dangereux que peuvent posséder des particuliers (5,6). Les espèces importées concernent tous les types : cobras, crotales, vipères tropicales... Avec de tels animaux de compagnie, le risque d'envenimation sévère est élevé, car de nombreuses espèces possèdent des venins redoutables (neurotoxicité, cardiotoxicité, myotoxicité, perturbations de l'hémostase...) et des appareils efficaces d'inoculation de ces venins. Ainsi, le moindre faux mouvement, ou les quelques petites secondes d'inattention peuvent conduire à une morsure. Il est impossible de décrire en quelques lignes la toxicité de tous les serpents importés en France, car il existe presque autant de tableau clinique que d'espèces venimeuses (7). Les observations présentées dans le tableau n°1 permettent cependant de souligner quelques notions intéressantes pour le corps médical.
Nous pouvons constater que pour deux observations de morsure de serpent et pour une mygale, l'animal s'était enfuit de son vivarium, et a agressé son propriétaire ou un membre de sa famille. Ces circonstances particulières montrent que la fuite d'un animal dangereux est toujours possible. Pour l'instant, aucune personne étrangère au collectionneur n'a été victime d'un fuyard, mais si cela se produit, cela ne manquera pas de soulever des problèmes de responsabilité.
Trois morsures de serpents colligées au cours de 1999, ainsi qu'une observation de 1997 (2), concernent des crotalidés arboricoles asiatiques du genre Trimeresurus. Ces petits serpents colorés sont en effet tout particulièrement recherché par les collectionneurs débutants, car ces espèces possèdent une réputation de « venimeux peu dangereux ». De nombreux commerçants spécialisés conseillent d'ailleurs l'achat de spécimens de ce genre pour commencer l'élevage d'animaux venimeux, afin de mieux s'habituer aux impératifs et aux particularités d'un tel hobby. Cette réputationrassurante nous paraît tout à fait erronée, car comme nous l'avons observé (tableau n°1), ces serpents peuvent être responsables de troubles de la coagulation sévères et de signes loco-régionaux extensifs pouvant nécessiter une prise en charge chirurgicale. Notons qu'une aponévrectomie de décharge n'a pas suffit à éviter une nécrose séquellaire de 2 doigts pour le patient de la troisième observation du tableau n°1.
Les éleveurs passionnés ne se contente plus des serpents sauvages actuellement importés. Pour obtenir des couleurs plus chatoyantes ou des comportements plus attractifs, certains collectionneurs n'hésitent plus à pratiquer des croisements entre des espèces proches. Les spécimens obtenus n'auraient jamais pu exister dans la nature. Du point de vue médical, se pose un important problème car ces hybrides venimeux possèdent des venins dont on ne connaît rien, et dont on ne peut prédire la toxicité. En cas d'envenimation, quel anti-venin utiliser ' Pour la 4èmeobservation du tableau n°1, le problème ne s'est pas posé puisqu'il s'agissait d'une projection oculaire. Ce cas nous permet cependant de réaliser qu'il y a chez nous des serpents créés de novo pour le plaisir de certains apprentis sorciers !
Enfin, en période de politique d'économie de la santé, il paraît peu satisfaisant de constater que le coût pour la société des envenimations par « NAC » est important : plusieurs patients envenimés (tableau n°1) ont nécessité plusieurs jours de soins en réanimation ou en service spécialisé. Les dépenses les plus importantes sont cependant liées à l'importation à grands frais de l'antivenin nécessaire pour traiter le patient du 3ème cas (anti-venin fabriqué en Thaïlande et importé en urgence de Suisse, ce qui a mobilisé de nombreuses personnes...). Il n'existe pas en France de structure ayant les moyens financiers et humains pour gérer une banque d'antivenins (2). La logique voudrait que les éleveurs se procure les anti-venins pouvant neutraliser les venins de leurs serpents. Malheureusement, aucun des éleveurs du tableau n°1 ne possédait d'anti-venin et tous s'appuyaient totalement sur le système de santé français pour prendre en charge les conséquences médicales de leur passion. Pourrons-nous tolérer longtemps une telle situation '
Les nouveaux animaux de compagnie venimeux sont chaque jour plus nombreux en France car ils sont l'objet d'un très vif intérêt. Le risque zéro n'existant pas, les accidents de piqûre ou de morsuresont désormais plus fréquents qu'on ne l'imagine. Mais le corps médical français est peu préparé pour prendre en charge de telles pathologies nouvelles en Europe. Mais les passionnés font évoluer très vite leur hobby (nouvelles espèces importées, création d'hybrides aux venins inconnus). Nous constatons de plus que le coût pour la société de telles envenimations est prohibitif. Il est peut être temps de donner l'alerte, car les éleveurs ne sont pas toujours très sérieux...
12 observations d'envenimations par animaux exotiques colligés par le Centre Antipoison de Marseille durant l'année 1999 | ||||
---|---|---|---|---|
Patient | Circonstances | Animal exotique | Tableau clinique | Traitement, évolution |
Homme, adulte
Eleveur amateur |
Nettoyage du terrain
Morsure à une main |
Fer de lance asiatique
(Trimeresurus albolabris) |
Oedème extensif et compressif, Ischémie périphérique | Aponévrectomie de décharge, guérison après 5 jours d'hospitalisation dont 3 en réanimation. |
Homme, 21 ans
Eleveur amateur |
Fuite du serpent dans la maison
Morsure nocturne au cou |
Fer de lance asiatique
(Trimeresurus albolabris) |
Oedème extensif, CIVD | 7 jours d'hospitalisation dont 3 en réanimation. Guérison sous traitements symptômatiques. |
Homme, 46 ans
Eleveur amateur |
Fuite du serpent dans la maison
Morsure nocturne à une main |
Fer de lance asiatique
(Trimeresurus albolabris) |
Oedème extensif et compressif, Ischémie périphérique, CIVD | Aponévrectomie de décharge, 3 perfusions d'antivenin importé en urgence de Suisse, 7 jours d'hospitalisation dont 2 en réanimation. |
Homme, 45 ans
Eleveur amateur |
Nourissage du serpent
Projection oculaire du venin |
Cobra hybride
(Naja X N. nivea) |
Conjonctivite puis kératite | Traitement local, 1 jour d'hospitalisation en service spécialisé, guérison. |
Homme, 50 ans
Aquariophile amateur |
Nettoyage d'aquarium
Piqûre à une main |
Rascasse volante
(Pterois volitans) |
Douleur, érythème et oedème | Guérison après réalisation d'un "choc thermique". |
Homme, 63 ans
Employé animalerie |
Arrivage de nouveaux poissons
Piqûre à une main |
Rascasse volante
(Pterois volitans) |
Douleur, érythème et oedème | Guérison après réalisation d'un "choc thermique". |
Homme, 48 ans
Aquariophile amateur |
Nourissage des poissons
Piqûre à une main |
Poisson chat d'Amérique
(Ictalurus sp.) |
Douleur, érythème et oedème | Guérison après réalisation d'un "choc thermique". |
Homme, 28 ans
Employé animalerie |
Réception arthropodes malgaches
Morsure à une main |
Veuve noire de Madagascar
(Latrodectus menavody) |
Tachycardie, trismus, myalgies diffuses, asthénie | Perfusion de gluconate de calcium efficace, 1 jour d'hospitalisation en réanimation |
Homme, adulte
Eleveur amateur |
Ouverture de terrarium
Morsure à une main |
Mygale du Chili
(Phrixotricus roseus) |
Oedème local, engourdissement du membre mordu | Surveillance 1 jour en réanimation, Guérison sous traitements symptômatiques. |
Femme, 52 ans
Tante d' éleveur amateur |
Fuite de l'araignée
Morsure à une main |
Mygale sud américaine
(espèce ') |
Oedème local, douleur prurit loco-régional | Consultation médicale, guérison sous anti-inflammatoires et antibiotiques. |
Homme, 42 ans
Eleveur amateur |
Projection oculaire de poils urticants à l'ouverture du terrarium | Mygale sud américaine
(Theraphosa sp.) |
kératite | Ablation mécanique des poils urticants, 1 jour d'hospitalisation en service spécalisé, Guérison sous traitements symptômatiques. |
Homme,25 ans
Aquariophile amateur |
Nettoyage de l'aquarium
Piqûre à une main |
Oursin diadème de L'Indo-Pacifique | Erythème, douleur irradiante dans tout le membre tordu | Ablation manuelle des débris d'aiguillons, guérison sous antalgiques. |
Docteurs Luc de HARO, Jocelyne ARDITTI, Jean-Marc DAVID et Marc VALLI
Centre Antipoison, Hôpital Salvator
249 Boulevard Sainte Marguerite, 13009 Marseille
(Source revue Urgence Pratique - Novembre 2000 n°43)