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Les envenimations scorpioniques

Cet article est reproduit avec l'aimable autorisation du Dr. J.C. Deslandes et de la revue urgence-pratique.

Dans le monde, plus de 800 espèces de scorpions sont décrites par les zoologistes mais seulement quelques-unes sont toxiques pour l'homme. Bien que l'on ne retrouve pas de scorpions dangereux en France, on peut être confronté au problème de piqûre chez des personnes revenant de l'étranger ou ayant manipulé des produits d'importation siège d'une espèce parfois dangereuse (1, 3).

Environ 40.000 décès sont enregistrés chaque année dans le monde. En Europe, essentiellement dans les régions méditerranéennes, les envenimations scorpioniques sont rarement rapportées du fait de leur bénignité habituelle. En France, elles représentent 1% des intoxications (7).

Taxinomie

Arachnidés invertébrés pourvus d'un exosquelette chitineux articulé, ils se retrouvent entre les latitudes 45° Nord et Sud. Leur "queue", ou post-abdomen, porte à son extrémité un appareil constitué d'une vésicule à venin prolongée par un aiguillon permettant l'inoculation. Cette dernière est contrôlée par l'animal, de sorte que toute piqûre de scorpion ne signifie pas obligatoirement injection de venin (gravité variable des conséquences de la piqûre pour une espèce donnée). Animal nocturne, il s'éveille au crépuscule et connaît son maximum d'activité entre 21 et 24 heures. Le jour, il se réfugie dans des crevasses du sol, sous des pierres, dans des terriers, à l'abri de la lumière. De nature craintive, peu agressif, il ne pique que lorsqu'il est dérangé. Actif au printemps et en été, il entre en hibernation dès le début de l'automne, mais de nombreuses espèces peuvent conserver un certain potentiel d'activité durant la saison froide. Son comportement conditionne en grande partie les circonstances des accidents d'envenimation : prédominance estivale des piqûres avec un pic journalier en début de soirée (1, 2).

Les zoologistes distinguent deux sous-ordres de scorpions, les Buthoïdes (une seule famille, celle des Buthidae) et les Chactoïdes (cinq familles). Les plus dangereux pour l'homme appartiennent pour la plupart au groupe des Buthoïdes, caractérisés par une queue relativement épaisse et triangulaire, des pinces plutôt fines, leur prédominance fréquente en milieu aride. Parmi les plus mortels au monde, on retrouve le Centruroïdes suffusus (Mexique), le Tityus serrulatus (Brésil), le Leiurus quinquestriatus (Afrique du Nord, Sahara, Soudan, Egypte, Arabie et d'Israël) et le Buthotus tamalus (ou pour certains Mesobuthus tamalus) ou scorpion rouge (Inde). Sont également très dangereux Androctonus australis (Algérie, Tunisie, Lybie, Egypte, Soudan) et Androctonus mauretanicus (Maroc).On dénombre plusieurs dizaines d'espèces dont la piqûre, habituellement non mortelle pour l'homme, peut entraîner des symptômes systémiques, très exceptionnellement suivis de décès (1, 2, 3) (tableau 1).

Parmi les espèces françaises on retrouve 4 Chactoïdes, tous inoffensifs : Euscorpius flavicandis (régions méditerranéennes, vallée de la Garonne à Partie de Toulouse), Euscorpius carpathicus (Provence), Euscorpius italicus (rarissime), Belisarius xambeui (Roussillon, scorpion anophtalme qui dispose d'une perception lumineuse par photorécepteurs corporels), et un Buthidé, Buthus occitanus, également inoffensif en France, mais résponsable de picures mortelles en Tunisie et en algèrie (4, 5, 6).

Le venin

Le venin peut être composée de diverses substances telles phospholipase, acétylcholinestérase, hyaluronidase, sérotonine (5-hydroxytryptamine) et neurotoxines. Les composantes du venin sont complexes et spécifiques à chaque espèce, celles de la famille des Buthidae étant les plus toxiques pour l'homme (1, 3).
Les venins de Buthidae contiennent plusieurs toxines, en nombre variable selon l'espèce (jusqu'à 11 chez Buthus occitanus), petites protéines basiques faiblement antigéniques, constituées par l'enchaînement d'une soixantaine de résidus aminoacides reliés par quatre ponts disulfures. Certaines d'entre elles, les plus nombreuses, ont une action sélective vis-à-vis des mammifères, les autres vis-à-vis des insectes ou encore des crustacés. Les venins contiennent aussi des amines biogènes, notamment de la sérotonine (5 hydroxy-tryptamine), de l'histamine, de la kinine et des substances non protéiques (7). Les venins des Centruroides de l'Arizona et du Mexique sont principalement neurotoxiques. Ils bloquent la fermeture des canaux sodiques des cellules excitables et entraînent une prolongation du potentiel d'action et de la dépolarisation spontanée des nerfs du système autonome. Ce mode d'action correspond aux toxines potentiel-dépendantes des venins de scorpion de l'Ancien monde. Les toxines des venins de scorpions du continent américain, non potentiel-dépendantes, abaissent le seuil d'excitabilité du neurone. Ces deux types de toxines n'ont pas le même site de fixation et n'entrent pas en compétition. Pour le neurone, le résultat reste le même : une entrée d'ions sodium. Le venin des espèces du Buthus et Parabuthus de l'Inde et de l'Afrique possèdent une phospholipase A qui entraîne des troubles hématologiques (hémorragies digestives et pulmonaire, coagulation intravasculaire disséminée...) (1). Les CIVD restent cependant des manifestations exceptionnelles secondaires à une piqûre de B. tamulus, elles ne sont pas décrites avec les venins des autres Buthidés. Les espèces dangereuses pour l'homme ont un venin dépourvu d'enzyme ce qui explique que leur piqûre est peu douloureuse (4, 5). Les venins de Chactoides riche en enzymes (hyaluronidase, protéases, phospholipases, phosphodiestérases, cogulases, anticoagulases, hémolysines...) sont responsables d'algies importantes. Il est thermostable, résiste à la dessiccation sous vide et son pouvoir toxique se conserve pendant plusieurs années (2, 7, 8). D'une manière générale, toutes les piqûres de scorpions accompagnées d'inoculation sont très douloureuses, Le mécanisme déclenchant de cette douleur n'est pas connu avec précision.

Tableaux cliniques

L'action des enzymes du venin explique la présence de symptômes aussi bien cholinergiques (hypersécrétion, hypersudation, priapisme, diarrhée et hyperpéristaltisme, râles bronchiques, bradycardie, hypotension, myosis) qu'adrénergiques (tachycardie, HTA, mydriase, rétention d'urines, froideur des extrémités) (1, 7). Pour une espèce donnée, les tableaux cliniques pourront différer, non par la nature des signes mais par leur intensité, fonction de la quantité de venin injecté et du terrain (2). Généralement, le tableau clinique se résume à des manifestations locorégionales (90 à 95% des cas). Parfois, les symptômes apparaissant une à deux heures après l'injection de venin, se diversifient et s'aggravent plus ou moins rapidement, donnant un tableau polymorphe d'atteintes multiviscérales, pouvant dans 1 à 5% des cas aboutir au décès, principalement en cas de piqûre chez l'enfant ou le patient débilité (4, 5, 7). La symptomatologie est due aux neurotoxines dépourvues d'activité enzymatique. Les venins de Buthidés sont en réalité pauvres en enzymes. Si, souvent, diverses enzymes sont décrites, il s'agit en réalité de produits de lyse cellulaire contenant des enzymes cytosoliques obtenues lorsque les venins sont extraits en utilisant un procédé électrique. La sévérité de l'envenimation scorpionique est quantifiée selon les grades suivants (1, 7) :

Le stade I (signes locaux)

Les signes locaux sont d'installation immédiate et résument, à ce stade, toute la symptomatologie. La douleur au point d'inoculation (généralement localisé aux extrémités distales des membres) est à type de sensation de gêne, de fourmillements, de paresthésies ou de brûlure. Elle reste localisée, peut s'accompagner d'un engourdissement locorégional et est déclenchée par la percussion ou le toucher ("tap test" positif). Elle commence à s'atténuer au bout d'une heure puis s'estompe dans un délai de quelques heures à 24 heures. La piqûre n'entraîne pas d'autre désagrément : c'est le cas tout à fait bénin. Les piqûres de certains Chactoïdes (comme le Buthus sauloci d'Iran) peuvent entraîner un érythème, un 'dème, une lymphangite, une gangrène cutanée ou une nécrose du doigt ou de l'orteil piqué (1, 2, 7).

Le stade II (signes généraux modérés)

Les signes locaux, identiques à ceux du stade I, sont plus marqués. Les paresthésies sont ascendantes dans l'extrémité atteinte (1). L'apparition de signes généraux caractérise ce stade, essentiellement par déréglement neurovégétatif (syndrome muscarinique) : sueurs, rhinorrhée, diarrhée, vomissements, perturbations de la tension artérielle (élévation des chiffres tensionnels le plus souvent), polypnée, parfois dysrégulation thermique modérée. L'ECG à ce stade est normal. L'évolution est favorable, et tous les troubles s'amendent en 24 ou 48 heures sans séquelles (2).

Le stade III

Le malade présente des signes généraux sévères qui s'installent après un intervalle libre de deux heures (2, 7). Aux signes précédents s'ajoutent des troubles respiratoires majeurs, cardiovasculaires et une altération de la conscience.

  • Signes respiratoires : L'insuffisance respiratoire aiguë fait la gravité du tableau initial. Elle associe polypnée, cyanose, signes de lutte avec tirage, cornage, battement des ailes du nez, mousse aux lèvres, blocage respiratoire, gasp, stridor, wheezing, râles crépitants ou bronchiques. La radiographie pulmonaire peut montrer des signes d''dème pulmonaire (7). Ce dernier complique 18 à 50% des scorpionismes graves. Il résulte souvent d'une dysfonction cardiaque globale mais l''dème pulmonaire lésionnel est également évoqué avec incrimination de fractions de venin (8).
  • Signes cardiovasculaires : Des poussées hypertensives sont observées dans un certain nombre de cas après piqûre de Buthidés. Elles sont liées aux effets des neurotoxines actives sur les canaux sodium. Après piqûre de Chactoïde (Palamneus gravimanus notament), les effets sur la pression artérielle sont moins marqués ou voir inexistants, la composition des venins étant différente. La fréquence de ce symptôme est variable selon les auteurs (de 4,3% à 77%). Après la phase hyperdynamique initiale, caractérisée par une augmentation du débit cardiaque et de la tension artérielle, s'installe une phase hypokinétique dominée par une hypotension et une insuffisance cardiaque (7, 9). Cette dysfonction cardiaque globale (cardiomyopathie spécifique scorpionique) est secondaire, selon les auteurs, soit à une toxicité directe ou indirecte du venin, soit à une décharge importante de cathécholamines, soit à une hypoxie tissulaire secondaire à la vasoconstriction coronaire, à l'hypoxie et aux thrombi des petits vaisseaux (7, 10, 11, 12). L'intervention de certaines substances cardiodépressives et vasodilatatrices (TNFa) pourraient aussi expliquer les effets cardiovasculaires rencontrés dans le scorpionisme (10). C'est à ce stade qu'apparaissent des altérations polymorphes non spécifiques de l'ECG, associant des troubles du rythme (tachycardie ou bradycardie sinusale, fibrillation auriculaire ou ventriculaire, tachycardies supra-ventriculaires plus rarement), des anomalies de l'onde P (aspect d'hypertrophie auriculaire, extrasystoles auriculaires, Wandering pacemaker), des troubles de la conduction (BAV du premier degré, rythme jonctionnel, alternance électrique, bloc de branche), des troubles de la repolarisation (onde T positive et symétrique, négative, en double bosse et sus- ou sous-décalage de ST) et un allongement de l'espace QT (2, 7, 13). De rares cas d'infarctus chez des sujets jeunes à coronaires saines ont été décrits (12). Les mécanismes des troubles de la conduction ou des infarctus n'ont pas d'explication claire (12). Ces troubles apparaissent entre la deuxième et la troisième heure après l'envenimation avec un maximum entre les 10 et 16èmes heures (2, 7, 13).
  • Signes neuromusculaires : Ils sont variés et témoignent d'une certaine gravité. Certains ont été rapportés à une encéphalopathie hypertensive. Ils s'agit de dystonies, de fasciculations, de crampes musculaires, de secousses ("jerking") des extrémités. Les phénomènes convulsifs sont rares chez l'homme, il n'est pas exclu qu'ils aient pour origine l'anoxie cérébrale consécutive au collapsus cardiovasculaire. A ce stade le décès survient dans un cas sur deux. Expérimentalement, l'hypertonie (en extension) apparaît en phase terminale. Les manifestations centrales sont faites de convulsions généralisées ou localisées, de myoclonies, d'agitation et/ou d'obnubilation, de dysrégulation thermique, de coma, de priapisme, d'hypersudation, d'hypersalivation et plus rarement d'un nystagmus, d'un strabisme, de mouvements oculaire erratiques, de troubles de la déglutition, de fasciculations de la langue, de dysarthrie, de paralysie de la sphère pharyngée. L'examen pupillaire est variable (myosis, mydriase ou même anisocorie). Exceptionnellement, on peut observer une atteinte d'un nerf périphérique. Des accidents vasculaires cérébraux ont été décrits. Leur pathogénie reste indéterminée : perturbation de la coagulation, hypotension, dépression myocardique, état de choc (1, 7, 8, 9, 14).
  • Manifestations digestives : Elles sont à type de nausées et/ou de vomissements (présents dans 90% des envenimations par Tityus serrulatus (15)), de ballonnement abdominal et d'hémorragie digestive. Les diarrhées parfois abondantes sont rares. L'envenimation par piqûre de Tityus (Buthidae américain) peut exceptionnellement se compliquer d'une pancréatite nécrotico-hémorragique (1, 2, 7).
  • Autres formes cliniques : D'autres manifestations peuvent s'observer selon l'espèce responsable : après piqûre d'un Chactoïdes, en plus des complications locales, peuvent survenir des manifestations générales plus graves (syndrome d'hémolyse massive avec complications rénales ou coagulation intravasculaire disséminée) à l'occasion desquelles des espèces réputées inoffensives ont pu être mises en cause (genre Euscorpius) (2). En France, les symptômes restent locaux et sont un peu plus marqués avec le scorpion jaune (Buthus occitanus) ; la même espèce en Afrique est dangereuse (4).
  • Manifestations biologiques : Une hyperglycémie transitoire s'associant souvent à une hyperinsulinémie est fréquente tout comme l'hyperamylasémie en cas de piqûre par Tityus serrulatus. L'hyperglycémie et l'hyperlecocytose ont été considérées comme des réactions de stress non-spécifiques liée à la douleur. L'hypokaliémie est plus fréquente que l'hyperkaliémie. L'hyperleucocytose est presque constante tout comme l'acidose métabolique avec acidémie dans les tableaux graves. L'insuffisance rénale est rare, souvent fonctionnelle par déshydratation, parfois organique par atteinte tubulaire ou provoquée par l'hémolyse (Buthus sauloci) tout comme l'élévation des enzymes musculaires et les troubles de l'hémostase (hypercoagulabilité) (7).

Facteurs de gravité et évolution

Les facteurs de gravité de la piqûre chez l'homme sont fonction de l'espèce en cause, de la taille du scorpion (faible risque si inférieure à 3 cm) mais aussi de son âge, de sa nutrition, des conditions climatiques de son habitat, de la quantité de venin injecté (en pratique toujours ignorée), de sa voie d'introduction (en principe sous-cutanée ou intradermique, une exceptionnelle inoculation intravasculaire étant plus dangereuse). Une inoculation au niveau du tronc, de la tête ou du cou, zones richement vascularisées, est un facteur de gravité de même que l'âge du sujet (hypersensibilité aux extrêmes de la vie), le délai de prise en charge (gravité plus significative pour un délai supérieur à 2h30 mn). En résumé, dans la très grande majorité des cas, les décès s'observent chez les jeunes de moins de 15 ans, et pratiquement jamais chez les adultes indemnes de tares physiologiques, au moins en ce qui concerne les picures de Buthidé dans l'Ancien Monde. On peut même dire que la sensibilité au venin est d'autant plus importante que le sujet est jeune (2, 7). Cette affirmation est à nuancer dans le cas de piqûres par Buthidé américain.

Malgré la gravité des signes, qui conduit à une hospitalisation, l'évolution est généralement favorable, avec disparition de l'obnubilation ou de l'état comateux puis des signes digestifs et respiratoires en quelques jours. Les troubles électrocardiographiques s'amendent en plusieurs jours à plusieurs semaines (pour les troubles de la repolarisation). La biologie se normalise en 3 à 4 jours (2,7).

L'évolution vers les formes graves est imprévisible. Certains signes cliniques en sont annonciateurs, leur présence devant inciter à une hospitalisation et à une surveillance très étroite du fait du risque de survenue d'un arrêt cardiaque : hypersudation, troubles digestifs (vomissements), agitation, hypertension, priapisme, hyperthermie supérieure à 40°C, coma, convulsion, 'dème aigu du poumon. Une hyperglycémie supérieure à 20 mmol/l est, elle aussi, de mauvais pronostic (2, 7, 16, 17) de même qu'un allongement de l'espace QT supérieur à 140% du QTc (7). La mortalité varie de 0,15% à 7,1%. 2,5% semble être une valeur assez plausible. Selon certains auteurs, elle peut parfois atteindre 25% dans les formes graves. Dans les cas mortels, le décès survient en règle dans les 24 heures qui suivent la piqûre du fait des complications pulmonaires ou circulatoires. Passé ce délai, l'évolution est souvent favorable (2, 8, 16). Les séquelles sont rarissimes (polynévrite, cécité, syndrome extrapyramidal, hémiplégie, développement secondaire d'une cardiomyopathie dilatée idiopathique) (8, 18).

Traitement symptômatique

Les envenimations par les scorpions causent rarement des symptômes sévères et le traitement se limite alors aux soins des phénomènes locaux : parage de la plaie si c'est possible (on n'observe le plus souvent aucune trace de la piqûre) et prophylaxie antitétanique appropriée.
Le traitement symptomatique banal à base d'antalgiques et d'antihistaminiques est généralement suffisant. La douleur peut être soulagée efficacement en refroidissant la zone d'inoculation lorsque le siège de la piqûre et les conditions matérielles s'y prêtent (1, 2, 3, 19). La partie atteinte sera immobilisée. Les opiacés, pouvant potentialiser la toxicité du venin, sont contre indiqués (20).
Une hyperthermie sera traitée par paracétamol (15). D'autres drogues telles que le dantrolène, la quinine ou l'acétylsalicylate semblent avoir une action antithermique efficace (21). L'aspirine semble en outre apporter des bénéfices qui vont bien au delà de l'effet antalgique comme le montrent des travaux récents. Les antipyrétiques seront associés aux man'uvres de refroidissement externe.
Les vasodilatateurs ont un effet bénéfique dans le traitement de l'hypertension artérielle. L'utilisation de l'hydralazine doit être prudente du fait de son action hypotensive imprévisible et prolongée même pour des posologies inférieures à 10 mg. La prazosine (125 à 250 µg per os) présente non seulement des effets bénéfiques sur la fonction cardiaque (diminution des résistances vasculaires et du retour veineux sans augmentation de la fréquence cardiaque) mais aussi des effets bénéfiques sur le système nerveux central, sur le métabolisme et la sécrétion d'insuline. Elle est parfois préconisée en association aux autres antihypertenseurs, la nifédipine en particulier. Cette dernière, administrée seule ou en association avec l'hydralazine ou la prazosine, a été utilisée avec succès. Elle améliore le débit sanguin coronaire mais peut être à l'origine d'une tachycardie inductrice de troubles du rythme. Le captopril n'est pas administré de façon courante mais pour certains auteurs peut corriger une hypotension induite par les diurétiques lors du traitement de 'dèmes pulmonaire (9, 15, 22).
Lors des envenimations scorpioniques, la dysfonction cardiaque touche dans des proportions égales les ventricules droit et gauche. Les effets de la dobutamine sur les perturbations cardiocirculatoires sont similaires à ceux produits au cours du choc cardiogénique et dans l'insuffisance cardiaque congestive. Elle permet de corriger l'effondrement de l'index cardiaque et de baisser les résistances vasculaires systémiques. Elle améliore le transport d'oxygène avec augmentation de sa consommation. Par ailleurs, la dobutamine améliore la fraction d'éjection du ventricule droit en augmentant la contractilité myocardique et en réduisant la post-charge (9, 23).
L'utilisation de l'atropine n'est pas recommandée en dépit de la fréquence des signes de la série muscarinique (hypersudation, hypersalivation, vomissements). Elle peut bloquer la sécrétion sudorale et perturber la thermorégulation des sujets déjà affaiblis part les vomissements et les diarrhées. En outre, elle potentialise expérimentalement l'effet hypertenseur et la sévérité de 'dème pulmonaire induits par le venin chez le rat. Elle ne sera préconisée que devant une bradycardie sévère (défaillance sinusale, bloc auriculo-ventriculaire du 3ème degré) avec ou sans hypotension (15).
Les vomissements, fréquents lors des envenimations scorpioniques, peuvent être traités par métoclopramide mais la chlorpromazine, du fait de son action tranquillisante, semble être la thérapeutique de choix devant un tableau clinique associant vomissements et agitation (15).
Devant des signes de détresse respiratoire, le malade bénéficiera d'une assistance ventilatoire (4). Devant des convulsions, le diazépam ou le phénobarbital sont préconisés en se méfiant d'une aggravation de la dépression respiratoire causée par le venin (1, 20, 15). Le midazolam en perfusion continue a montrer son efficacité dans les piqûres sévères par Centruroïdes exilicauda (Centruroïdes sculpturanus) (24). L'administration de gluconate de calcium 10% traite les crampes musculaires sévères (1).

Traitement spécifique : la sérothérapie

Les sérums antiscorpioniques existent. Leur intérêt n'est pas démontré et leurs indications, bien que larges pour la plupart des auteurs, restent discutées (1, 8). Le facteur le plus important du succès de la sérothérapie apparaît être la puissance de l'antivenin, sa dose (un sous-dosage pouvant expliquer un échec clinique) et sa voie d'administration (15, 25). De fortes doses d'antivenin doivent être administrées par voie intra-veineuse : l'administration de 5 à 10 ml d'antivenin polyvalent dilué dans 50 ml de solution saline en intra-veineux lent diminue la quantité de venin circulant et la morbidité (26). Elle limiterait la chute du débit cardiaque et l'élévation de la PAPO (27) ; la même quantité administrée en intra-musculaire n'a aucun effet (25). Les données de la littérature montrent qu'après une sérothérapie bien conduite on observe rarement une évolution vers des critères de gravité (15). Les effets indésirables se résument en rash cutané, urticaire, wheezing et/ou hypersécrétions bronchiques. Toutefois, certains sérums spécifiques comme celui de Centroïdes sculpturatus préparés à partir de sérum de cheval ou de chèvre peuvent induire de rares réactions anaphylactiques ou anaphylactoïdes facilement contrôlées par les corticoïdes et antihistaminiques (1, 20, 28). Il faut administrer la sérothérapie antiscorpionique le plus tôt possible chez les patients piqués par les espèces potentiellement mortelles (1, 2, 4, 5). En effet, l'antivenin (mono- ou polyvalent) n'est efficace que s'il est utilisé avant que les signes généraux sévères d'envenimation (stade III) n'apparaissent, les toxines ne pouvant être déplacées de leur site de fixation cellulaire (4, 5). Les corticoïdes à dose élevée (3 g) administrés par voie générale associés au sérum antiscorpionique ne semblent pas modifier l'évolution (29, 30).

Conclusion

L'envenimation scorpionique est fréquente dans les zones tropicales et subtropicales. Cependant quelques cas d'envenimation par des scorpions importés ont été signalés dans des régions ne faisant pas partie du réservoir naturel. En Europe, la piqûre est généralement responsable de manifestations cliniques bénignes. Toutes les espèces dangereuses font partie de la famille des Buthidae mais chez les enfants et les adultes présentant des tares en particulier cardiovasculaires et respiratoires, toute piqûre de scorpion, quelle que soit sa famille, peut entraîner des troubles beaucoup plus graves, jusqu'à un véritable syndrome de défaillance multiviscérale pouvant aboutir au décès. Parmi ces manifestations cliniques, les troubles cardiorespiratoires ('dème pulmonaire, état de choc) occupent une place prédominante. Le traitement sera symptomatique (antipyrétiques, antalgiques, anticonvulsivants, antiémétiques, vasodilatateurs en cas d'hypertension artérielle, dobutamine en cas d'insuffisance cardiaque aiguë). La sérothérapie occupe une place de choix dans le traitement mais pour être efficace, elle devra être administrée en intraveineux, le plus tôt possible et en quantité suffisante.

Docteurs Philippe BERGER, Patrick CHILLET, Jean-Michel KORACH (Praticiens hospitaliers)
Docteur David PETITPAS (Assistant)
Docteur Laurent POIRON (Interne)

Service de Réanimation Polyvalente
Centre Hospitalier de Châlons-en-Champagne
51, rue du Commandant Derrien - BP 5 - 01
51005 Châlons en Champagne

La rédaction tient à remercier M. Max Goyffon, directeur de recherche du Centre de recherches du Service de Santé des Armées et directeur du laboratoire d'études et de recherches sur les arthropodes au Muséum National d'Histoire Naturelle, pour la relecture critique de cet article.

A lire aussi : Les envenimations graves, G. Mion & M. Goyffon, 1 vol. Arnette, Groupe Liaison s.a., Rueil Malmaison, 2000, 164 p.

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Tableau annexe : différentes espèces de buthoïdes et leur localisation

EspècesLocalisations
Androctonus australis Algérie, Tunisie, Libye, Egypte
Androctonus mauretanicus (scorpion noir) Maroc
Buthus tamalus (scorpion rouge) Inde
Buthus occitanus (scorpion brun) Tunisie
Centruroïdes noxius Mexique
Centruroïdes infamatus Mexique
Centruroïdes sculpturatus Etats-unis
Leiurus quinquestriatus (scorpion jaune) Afrique du nord, Sahara, Soudan, Egypte, Israël, Arabie
Tityus serrulatus Brésil
Tityus bahiensis Brésil

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