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La prise en charge d'une hypothermie à la phase préhospitalière

Cet article est reproduit avec l'aimable autorisation du Dr. J.C. Deslandes et de la revue urgence-pratique.

La surrvenue d'une hypothermie accidentelle est la conséquence d'un dépassement des mécanismes physiologiques de thermorégulation face à l'agression du froid. Les moyens de défense de l'organisme, représentés par la limitation de la thermolyse et la majoration de la thermogenèse, sont alors épuisés ou inopérants.

De façon théorique, on distingue une hypothermie avec des défenses maximales d'installation plus lente (patient conscient, tonus vasomoteur et travail musculaire préservés, protections vestimentaires adaptées), d'une hypothermie de constitution rapide avec des défenses minimales (patient inconscient, vasoplégie, équipement inadapté). En pratique la rapidité d'installation de l'hypothermie est surtout liée à l'importance du gradient thermique entre le patient et le milieu extérieur. La perte de température est très rapide par convexion, notamment dans l'eau. Dans l'air, elle est dépendante de la vitesse du vent (cf. tableau 1). La déperdition thermique par conduction est propre au milieu solide. Elle intervient lorsqu'une surface importante du corps est au contact d'un sol froid, comme c'est le cas pour l'"avalanché" enseveli ou pour la victime inconsciente au sol. Les échanges thermiques par radiations sont quant à eux très variables, selon l'ensoleillement, l'humidité dans l'air, et la température des objets environnants. Il existe une classification sémantique de l'hypothermie selon sa profondeur. Elle est dite modérée pour une température centrale supérieure à 32°C. Elle est dite sévère entre 32° et 26°C. Elle est majeure en dessous de 26°C.

Tableau 1

Effet de la vitesse de l'air sur la température ambiante
("Windchill index")
T° ambiante sans vent 5° C 0° C - 5° C - 10° C
Avec 8 km/h de vent 3° C - 2° C - 7° C - 12° C
Avec 24 km/h de vent - 2° C - 10° C - 18° C - 24° C
Avec 40km/h de vent - 9° C - 16° C - 23° C - 30° C

Le degré de gravité

La gravité immédiate de l'hypothermie accidentelle isolée repose sur la menace d'arrêt cardio-respiratoire. Le risque de survenue d'une fibrillation ventriculaire est maximal pour un myocarde exposé à des températures voisines de 28°C. En revanche, la tolérance cérébrale à l'anoxie est inversement liée à la baisse la température centrale, par réduction du métabolisme (cf. tableau 2). Ainsi, le pronostic de l'arrêt cardio-respiratoire est bon dans les cas d'hypothermie profonde isolée, après réanimation et réchauffement par circulation extra corporelle (CEC). Walpoth (1) retrouve un taux de survie à long terme dans 32,6 pour cent des cas d'une série de 46 patients. Pour ces survivants, les séquelles neurologiques sont inexistantes ou minimes.

Malheureusement, l'hypothermie accidentelle n'est pas toujours isolée. Elle complique une pathologie initiale, notamment traumatique. En altérant la coagulation, elle s'oppose au traitement des lésions hémorragiques (2). Le rôle neuroprotecteur de l'hypothermie s'inverse dans l'association hypothermie sévère et traumatisme crânien grave (3). Mais surtout, le pronostic de l'arrêt circulatoire est très sombre chez l'hypotherme polytraumatisé (4), malgré les protocoles de réchauffement et les techniques de réanimation circulatoire.

Aussi pour les secouristes sur le terrain, comme pour la médicalisation de la phase préhospitalière, les objectifs sont clairs : toujours suspecter l'hypothermie là où elle peut survenir, tout faire pour respecter une activité circulatoire conservée et réanimer une victime en Etat de Mort Apparente (EMA).

Suspecter l'hypothermie

L'hypothermie menace tous les patients traumatisés, indépendamment de la saison et du lieu de survenu. Elle est toujours suspectée chez le noyé et chez l'"avalanché", même si elle n'est quantifiée qu'à l'arrivée des secours médicalisés. Par contre son diagnostic est souvent retardé dans des circonstances moins spécifiques, lors de la découverte à domicile d'une victime inconsciente au sol ou lors d'une désincarcération qui s'éternise. L'hypothermie est évoquée sur des signes cliniques décrits dans le tableau de Grosse-Brockhoff, Hillian et Souchon (cf. tableau 2). Le bilan fonctionnel des secouristes, comme l'examen clinique du médecin, doivent prendre en compte ces signes. En l'absence de thermomètre, certains caractères séméiologiques laissent suspecter la profondeur de l'hypothermie. Le plus simple repose sur l'inspection de la victime, et la mise en évidence du frisson. Sa présence signe l'existence d'une thermogenèse active, et donc d'une température centrale supérieure à 32°C. Son absence, chez une victime menacée par le froid, fait redouter une hypothermie sévère. De même la constatation d'une mydriase aréactive bilatérale peut être le reflet d'une température inférieure à 26°C. Elle n'a pour autant aucune valeur pronostic.

L'évaluation quantitative de la température centrale doit être non iatrogène, facile à mettre en ?uvre sur le terrain, et reproductible. Le thermomètre doit avant tout être étalonné pour des températures basses (inférieures à 20°C.), et fonctionner même dans une température ambiante négative (ce qui n'est pas le cas des modèles à infra-rouge). L'emploi des fragiles thermomètres à gallium n'est pas adapté à l'utilisation préhospitalière. Le site de mesure privilégié est le conduit auditif externe, avec une sonde tympanique. La valeur obtenue est significative de la température centrale seulement si la circulation carotidienne est efficace. La mesure est aussi possible avec une sonde rectale, mais à 15 cm de la marge anale, afin de ne pas être faussée par la température périphérique. L'utilisation d'une sonde ?sophagienne est dangereuse chez un patient ayant une activité circulatoire conservée. Il existe un risque iatrogène de stimulation mécanique du c'ur lors du passage de la sonde, qui peut aboutir à la survenue d'une fibrillation ventriculaire. Son emploi se limite aux patients en état de mort apparente.

Tableau 2

Tolérance cérébrale à l'anoxie selon la température centrale
37° C 3 minutes
25° C 15 minutes
20° C 30 minutes
15° C 60 minutes

La prise en charge des patients hypothermes sur le terrain

L'activité circulatoire est conservée

"Premièrement, ne pas nuire..." (cf. organigramme 1)

Quelles que soient les circonstances de survenue de l'hypothermie, qu'elle soit isolée ou non, la prise en charge du patient s'articule sur la réalisation des "gestes qui sauvent" : l'arrêt des hémorragies, l'installation en décubitus latéral (PLS) d'un patient inconscient qui ventile. La limitation des pertes thermiques est indispensable. Elle nécessite le retrait des vêtements mouillés quand cela est possible, la protection du corps par des couvertures sans oublier l'extrémité céphalique. L'isolation du sol, par un matelas à dépression par exemple, limite les pertes par conduction.

Il faut surtout éviter un refroidissement secondaire du noyau central. Il est la conséquence d'un échange thermique avec la périphérie du corps, toujours plus froide. Connu sous l'anglicisme d'"afterdrop", ce phénomène survient lors des mobilisations qui doivent donc être prudentes et mesurées, mais aussi lors de la phase initiale du réchauffement. Même pour un refroidissement secondaire modeste, le risque de survenue d'une fibrillation ventriculaire est majeur si la température centrale tombe en dessous de 28°C. Aucun réchauffement actif, surtout périphérique, ne doit être débuté avant l'accueil en milieu spécialisé en cas d'hypothermie sévère, suspectée devant l'absence de frisson.

Le réchauffement sur le terrain ne doit être entrepris que pour des patients souffrants d'hypothermie modérée (>32°C). Dans ces seuls cas, des "parachutes thermiques" peuvent être mis en ?uvre par les secouristes, soit pour réchauffer les gaz inspirés (modèles mis au point d'après les travaux du Dr Foray à Chamonix), soit en faisant circuler de l'air chaud le long des gros axes vasculaires axillaires et fémoraux. L'application de pochettes étanches, génératrices de chaleur par réaction chimique exothermique durable, est aussi possible.

La prise en charge médicalisée du patient en hypothermie sévère avec activité circulatoire conservée est protocolisée (5,6,7,8). Les objectifs sont la quantification de l'hypothermie, le respect de la fragilité du patient, et son orientation rapide vers un centre hospitalier préparé à l'accueillir. Rien d'agressif ne doit être entrepris sur le terrain. La pose d'une voie veineuse centrale (sous-clavière ou jugulaire) ou la mise en place d'une sonde gastrique sont des gestes à proscrire en raison du risque iatrogène majeur (stimulation mécanique d'un c'ur froid au bord de la fibrillation ventriculaire). Seules l'intubation orotrachéale et la ventilation assistée du patient comateux sont indiquées. Le monitorage de l'activité cardiaque montre l'onde "J" d'Osborne, dont l'aspect de décroché du segment ST sus-décalé est pathognomonique. La bradycardie, comme les troubles auriculaires du rythme, sont à respecter. Sur le terrain, la prescription d'amines cardio-accélératrices est contre indiquée dans les hypothermies sévères. Leur efficacité diminue avec la température, mais surtout leur action sur un myocarde hyper excitable est potentiellement dangereuse. Un remplissage vasculaire inapproprié à l'estimation des pertes hémorragiques, comme toutes les mobilisations inadaptées sont susceptibles d'abaisser la température du noyau central, et donc de mettre en péril l'activité circulatoire. C'est seulement lors de l'accueil hospitalier, que le réchauffement progressif et surveillé de la victime sera débuté (couverture chauffante, dialyse péritonéale, perfusions réchauffées, drainage thoracique, voire circulation extra corporelle en cas d'arrêt circulatoire). Aussi, l'évacuation de l'hypotherme sévère doit se faire sans retard.

Tableau 3

Signes cliniques de l'hypothermie
Température
centrale
InspectionFonction
neurologique
Fonction
ventilatoire
Fonction
cardio-vasculaire
34° C Peau froide et pâle
Frisson présent
Dysarthrie Æ d'amplitude Tachycardie
32° C Peau cadavérique
Disparition du frisson
Obnubilation
Réflexes ostéo-tendineux
(ROT) vifs
Æ fréquence respiratoire Æ fréquence cardiaque
Disparition du frisson
30° C Rigidité musculaire
Cyanose périphérique
Stupeur
ROT diminués
ÆÆ de la fréquence ÆÆ fréquence cardiaque
Hypotension
28° C Trismus coma +/- réactif Pauses respiratoires Bradycardie +++
Anomalies rythmiques
Risque de fibrillation ventriculaire
25° C Coma aréactif
ROT abolis
Mydriase aréactive
(sans valeur pronostique)
Vers un arrêt respiratoire Pouls et PA imprenables
Vers un arrêt cardiaque
Etat de mort apparente (EMA)

L'activité circulatoire n'est pas conservée

"Tout tenter.....toujours ?" (cf. organigramme 2 & org.3)

Pour l'équipe secouriste découvrant un patient suspect d'hypothermie, en arrêt cardio-respiratoire (ACR), une réanimation cardio-pulmonaire (RCP) doit être entreprise, même devant une rigidité du corps et sans tenir compte de la mydriase aréactive (sans valeur pronostique). Ces signes sont ceux du tableau de l'état de mort apparente (EMA) qui doit être réanimé par les secouristes, en respectant les règles habituelles de fréquence et de rythme de la ventilation et du massage cardiaque externe (MCE). Ces man'uvres de réanimation sont poursuivies sans interruption jusqu'à l'arrivée de l'équipe médicale.

Pour le médecin sur le terrain, la conduite à tenir repose sur la mesure de la température centrale, la protection des voies aériennes par une intubation orotrachéale et la poursuite du MCE et de la ventilation. Dans l'hypothermie isolée, la pose d'une voie veineuse est souhaitable sans être indispensable, et l'injection d'amines n'est pas recommandée en dessous de 30°C. En cas de fibrillation ventriculaire, trois chocs électriques externes peuvent être tentés, mais la défibrillation est le plus souvent inefficace sur un c'ur froid (<30°C). Les gestes de réanimation médicalisée sont donc limités.

Par contre la démarche diagnostique est capitale. Il faut tenter d'établir un diagnostic différentiel entre un hypotherme en état de mort apparente et une victime décédée refroidie, d'autant plus si aucun témoin fiable -le médecin lui-même- n'a assisté à l'ACR. L'aphorisme anglo-saxon "Personne n'est mort avant d'être chaud et mort" (10) est le fruit de succès spectaculaires de réanimations de patients en hypothermie majeure isolée avec asystolie prolongée. L'enthousiasme suscité par ces cas, a conduit à ouvrir en grand les portes des blocs de chirurgie cardiaque à des patients malheureusement décédés. Afin d'aider les équipes sur le terrain, et de limiter l'embolisation inutile des structures spécialisées, des protocoles sont validés pour effectuer un premier tri. Ils reposent sur la mesure de la température centrale, l'examen clinique, l'anamnèse et les possibilités d'évacuation :

Une température centrale supérieure à 32°C n'explique pas l'EMA et la tolérance cérébrale à l'anoxie est restreinte. L'association à un traumatisme majeur nuit aux possibilités de réussir un réchauffement par CEC. Un âge physiologique supérieur à 70 ans est de très mauvais pronostic. Une impossibilité d'évacuation rapide de la victime, comme c'est souvent le cas en montagne par mauvais temps, ferme toutes chances de survie. Dans le cas de l'"avalanché", en plus des critères précédents, un temps d'ensevelissement inférieur à 45 minutes ou l'absence de "cavité respiratoire" (neige bourrée dans la bouche lors du dégagement) évoque un décès par asphyxie.

Si une ou plusieurs de ces situations sont retrouvées, alors une réanimation classique est tentée pendant 20 minutes. En l'absence de reprise d'une activité circulatoire spontanée (RACS), le patient est décédé.

Dans les autres cas, la réanimation (MCE et VA) est poursuivie jusqu'à l'hôpital, où un dosage du potassium sérique est effectué. Une kaliémie à 10 mmol/l est reconnue comme seuil discriminatif (11). Inférieure à cette valeur, une tentative de réchauffement est débutée par CEC ou par dialyse péritonéale. Supérieure à 10 mmol/l, la réanimation est arrêtée.

Conclusion

En ce qui concerne la phase préhospitalière, l'hypothermie sévère (<32°C) est le plus souvent une complication qui se surajoute à une pathologie médicale ou traumatique initiale. Elle ne doit pas être ignorée car elle accentue la fragilité du patient. Le relevage et l'évacuation sont des périodes à très haut risque de survenue d'une fibrillation ventriculaire rebelle aux chocs électriques externes. Il en vade même pour tous les gestes médicaux agressifs non indispensables. Dans le cas de l'hypothermie majeure (<26°C), le bilan fonctionnel tend vers celui de l'arrêt cardio-respiratoire. Les possibilités de succès d'une réanimation prolongée sont à prendre en considération au même titre que les facteurs de mortalité. Bien que des protocoles existent pour guider le médecin sur le terrain dans son choix thérapeutique, c'est quelquefois seulement à l'accueil hospitalier par la mesure de la kaliémie, qu'est posé le diagnostic différentiel entre décès et état de mort apparente.

François-Xavier KOCH
Praticien hospitalier
SAMU 38 - CHU de Grenoble - BP 217 - 38043 Grenoble Cedex 9

Références bibliographiques

  1. Walpoth B.E. & coll. - Outcome of survivors of accidental deep hypothermia and circulatory arrest treated with extracorporeal blood warming. - N Engl J Med 1997 ;337 : 1500-05.
  2. Gubler K.D., Gentilello L.M., Hassantash S.A., Maier R.V. - The impact of hypothermia on dilutional coagulopathy. - J Trauma 1994 ; 36 : 847-51.
  3. Clavier N. - Rôle protecteur de l'hypothermie dans l'ischémie cérébrale. - Ann Fr Anesth Réanim 1999 ; 18 : 593-8.
  4. Rousseau J.M., Marsigny B., Cauchy E., Bonsignour J.P. - Hypothermie en traumatologie. - Ann Fr Anesth Réanim 1997 ; 16 : 885-94.
  5. Menthonnex P., Lallemand E., Faudemay C., Lacroute J.M., Drouet N. - Conduite à tenir pour la prise en charge des hypothermies accidentelles sur le terrain. - J.E.P.U. 1989 - Paris, Arnette, 1989, p79-87.
  6. Danzl D.F., Pozos R.S. - Accidental hypothermia. - N Engl J Med 1994 ; 331 : 1756-60.
  7. Larach M.G. - Accidental hypothermia. - Lancet 1995 ; 345 : 493-98.
  8. Mantz J., Lasocki S., Fierobe L. - Hypothermie accidentelle. - Conférences d'actualisation de la SFAR 1997 - Paris, Elsevier, 1997, p. 575-86.
  9. Hamilton R.S., Paton B.C. - The diagnosis and treatment of hypothermia by mountain rescue teams : a survey. - Wilderness and Environmental Medicine 1995 ; 6 : 273-82.
  10. Southwick F.S., Dalglish P.H. - Recovery after prolonged asystolic cardiac arrest in profound hypothermia. - JAMA 1980 ; 243, 1250-53.
  11. Schaller M.D., Fischer A.P., Perret C.H. - Hyperkaliemia : a pronostic factor during acute severe hypothermia. - JAMA 1990 ; 264 : 1842-45.

Résumé

La recherche d'une hypothermie accidentelle doit faire partie du bilan initial préhospitalier de tous les patients. Des éléments séméiologiques, comme la disparition du frisson, signent la profondeur de l'hypothermie, et donc sa gravité potentielle par risque d'arrêt cardio-respiratoire. L'évaluation quantitative de l'hypothermie est possible au niveau tympanique chez la victime ayant une activité circulatoire conservée. Dans ce cas, la mesure ?sophagienne, comme tous les gestes agressifs et les mobilisations inadaptées, sont contre-indiqués. Dans les cas d'hypothermie majeure (<26°C), le tableau clinique est celui de l'arrêt cardio-respiratoire. Un des objectifs les plus difficiles pour le médecin est alors d'essayer de trier, en s'appuyant sur des protocoles adaptés à la phase préhospitalière, les patients en état de mort apparente des patients décédés et froids.


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